mercredi 8 décembre 2010

Histoire des arts 5e : Le monde des chevaliers à travers les romans de Chrétien de Troyes.

Chrétien de Troyes (1135 ?-1191?) est né et à vécu au XIIe siècle, dans le royaume de France, peut être  à Troyes. On sait peu de choses de sa vie. Certains détails biographiques ont été donnés dans ses œuvres. Ses origines sont peu claires. Certains pensent qu’il est né dans une famille de la petite noblesse. D’autres ont avancé qu’il était juif (Troyes est alors un des centres européens de la culture judaïque). C'est  un clerc,  proche des milieux nobles pour lesquels il travaille. Il a ainsi écrit Lancelot ou le chevalier à la charrette pour Marie de Champagne, fille d'Aliénor d'Aquitaine et de Louis VII. Dans le prologue de sa dernière œuvre, Perceval ou le Conte du Graal, il indique être au service de Philippe d'Alsace, comte de Flandre et soupirant de Marie de Champagne. 

Chrétien a écrit cinq romans chevaleresques en vers octosyllabiques. S'inspirant des légendes bretonnes et celtes autour du Roi Arthur et de la quête du Graal, Chrétien de Troyes produit trois romans de chevalerie : Lancelot ou le Chevalier de la charrette (1176), Yvain ou le Chevalier au lion (vers 1176), et Perceval ou le Conte du Graal (vers 1180). Il puise dans la tradition celtique et bretonne (la matière de Bretagne) mais donne aux aventures des compagnons d’armes d’Arthur, une dimension morale et chrétienne, typique de la littérature courtoise de l’époque. Les aventures des chevaliers sont individuelles et non collectives : leur quête est fondée sur une série d’épreuves qui révèlent les qualités de chacun. Les héros sont souvent confrontés à un choix difficile, pris en étau entre leur amour (Lancelot et Guenièvre, sa reine, dont il est amoureux, Yvain et Laudine) et leur devoir moral de chevalier. Ainsi, Lancelot doit subir l'humiliation de monter dans une charrette conduite par un bouvier pour pouvoir délivrer la reine Guenièvre, prisonnière de Méléagant  (humiliation qu'il accepte, d'ailleurs, après quelque hésitation).

Lancelot dans sa charrette.

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Pour avoir abandonner Laudine après ses exploits de la fontaine de Barenton, Yvain devient momentanément fou.

Yvain s'agenouille devant Laudine, puis se réconcilie avec elle.
Au-delà de leurs exploits personnels et de l'élan qui les pousse vers leurs dames, les chevaliers deviennent surtout, dans l'accomplissement d'une grande quête religieuse (la quête du Graal ou la recherche de la coupe du Christ) en soldats de Dieu (milites christi). C'est le cas de Perceval, qui perd vite de vue Blanchefleur pour partir à la quête de la précieuse relique.

Bien qu’important, le roi Arthur n’est pas le personnage principal de ces livres : c’est un e sorte de centre géographique, qui permet aux chevaliers de se croiser autour de la Table ronde.

Les aventures des héros de Chrétien de Troyes sont lues ou écoutées par les nobles (Marie de Champagne  a imposé le thème de Lancelot à Chrétien). Elles sont un miroir du monde seigneurial. Perceval, Yvain ou Lancelot sont des modèles à suivre. L’historien peut puiser dans ces œuvres des éléments importants  pour comprendre la façon dont vivaient les seigneurs et la manière dont ils pensaient et voyaient la société de leur temps autour du XIIe siècle. 

1-La formation du chevalier et l'adoubement. 
Le chevalier doit suivre une formation morale et technique qui le conduit à la cérémonie de l’adoubement . Cette cérémonie consacre son entrée sociale et symbolique dans un monde de guerriers d’exception, régi par un rigoureux code moral. Dans la première partie du Perceval, le lecteur suit l'initiation d'un jeune valet (un petit noble, pas encore parvenu au rang de chevalier) orphelin de père, tenu à l'écart du monde et de la chevalerie par sa mère, trop protectrice. En acceptant l'enseignement de Gornemant de Gohort, il rejette l'éducation stérile  maternelle (le monde de  la Nature et de la forêt) pour accéder aux valeurs du monde paternel (chevalerie, virilité, courtoisie)  :

« Le seigneur se baisse et lui chausse l'éperon droit, comme la coutume le voulait de qui adoubait un chevalier. Les écuyers sont nombreux tout autour : chacun se presse pour l'armer. Le seigneur prend l'épée, la lui ceint et lui donne l'accolade. « En vous remettant l'épée, lui dit-il, je vous confère l'ordre de chevalerie, qui ne souffre aucun bassesse. Beau-frère, souvenez-vous qu'au combat, si votre adversaire vaincu demande grâce, vous devez l'écouter et ne pas le tuer sciemment. S'il vous arrive de trouver dans la détresse homme ou femme, dame ou demoiselle, conseillez-les. Vous ferez bien. Enfin, recommandation très importante, allez volontiers à l'église prier Dieu qu'il ait pitié de votre âme et qu'il vous garde comme un fidèle chrétien. » Le seigneur alors fait sur lui le signe de croix.

Chrétien de Troyes, Perceval ou le Conte du Graal, XIIe siècle. »

Cette description montre bien une cérémonie où se mêlent la symbolique militaire (le don des armes), le rappel des règles morales (le discours de Gornemant sur la nécessité de protéger les faibles, de combattre dignement et de défendre l'Eglise) et l'onction religieuse (le signe final de la croix).   

2-Le chevalier au combat.
Le seigneur maîtrise une technique de combat équestre, puis au sol,  fondée sur des armes défensives (heaume, écu, armure lourde, cotte de mailles et haubert) et offensives (épée, lance). Mais il suit des règles de bonne conduite au combat. Face à Méléagant, Lancelot apparaît comme le chevalier parfait, techniquement et moralement supérieur. 

«Lancelot fond sur Méléagant avec une fureur bien digne de sa haine. Avant de l'attaquer, il lui crie cependant d'une voix menaçante :

- Venez par là: je vous fais un défi et tenez pour certain que je ne voudrai pas vous épargner. 

Il éperonne alors son destrier et retourne en arrière à une portée d'arc pour prendre un peu de champ. Puis les deux combattants se précipitent l'un sur l'autre au plus grand galop des chevaux. De leurs lances bientôt ils ont heurté si fort leurs solides écus qu'ils les ont transpercés. [. . .] Étriers, sangle, courroies, rien ne put empêcher leur chute : il leur fallut vider leur selle et par-dessus les croupes des chevaux tomber sur le sol nu. Les coursiers fous de peur errent de tous côtés; en ruant, en mordant, ils voudraient eux aussi s'entre-tuer. Les chevaliers jetés à bas se sont bien vite relevés d'un bond. Ils tirent leurs épées où des devises sont gravées. L'écu à la hauteur de leur visage, ils pensent désormais au moyen le meilleur de se faire du mal avec l'acier tranchant. Lancelot n'avait pas la moindre crainte : il s'entendait deux fois plus que Méléagant à jouer de l'épée, car il avait appris cet art dans son enfance. Ils frappent tous les deux si bien sur leurs écus et sur leurs heaumes lamés d'or que les voilà fendus et bosselés. Mais Lancelot de plus en plus presse Méléagant : d'un coup puissant il tranche le bras droit pourtant bardé de fer que l'imprudent aventurait à découvert par-devant son écu. En se sentant si malmené, Méléagant [...] est presque insensé de rage et de douleur. Il s'estime bien peu, s'il n'a recours à quelque fourberie. Il fond sur l'adversaire en comptant le surprendre. Mais Lancelot se donne garde : avec sa bonne épée, [...] il le frappe en effet au nasal qu'il lui enfonce dans la bouche en lui brisant trois dents. Dans sa souffrance et sa fureur Méléagant ne peut dire un seul mot. Il ne daigne non plus implorer la pitié, attendu que son cœur, en mauvais conseiller, l'enferme dans les rets de son aveugle orgueil. Son vainqueur vient sur lui : il délace son heaume et lui tranche la tête. Méléagant ne jouera plus de mauvais tour à Lancelot : le voilà tombé mort.

Chrétien de Troyes, Lancelot ou le chevalier à la charrette, XIIe siècle. »

Yvain, le chevalier au lion, au combat.

3-Le château-fort.
Le seigneur vit dans un château-fort, dont Chrétien de Troyes a laisse des descriptions architecturales très précises. Mais on peut aussi voir dans ces châteaux magiques, comme le château du Roi pêcheur (vers lequel ici Gauvain s'approche), peut-être un peu trop grands et un peu trop luxueux, une idéalisation de forteresses souvent rustiques et exigües au XIIe siècle. 

« Arrivé là où la rivière est bien près du terme de sa course, le valet tourne vers la gauche et voit naître les tours du château, car c’est bien ainsi qu’elles lui apparaissent, comme si elles sortaient du château même. Au milieu du château s’élevait une forte et haute tour ; une solide barbacane commandait le débouché de la rivière, où les eaux se mêlaient tumultueusement à celles de la mer, et les vagues venaient se briser contre le mur. Aux quatre coins de la muraille construite en forts moellons, quatre tours basses et trapues, de belle allure. Le château avait grand air et à l’intérieur il était disposé à souhait. Devant un châtelet rond, un haut et robuste pont de pierre bâti à sable et à chaux, flanqué de bastions sur toute sa longueur et pourvu d’une tour au milieu, enjambait la rivière ; au bout, un pont-levis, fidèle à sa mission : pont le jour, porte close la nuit. Vers ce pont s’avance le valet. 
Chrétien de Troyes, Perceval ou le Conte du Graal, XIIe siècle. »

Yvain face Laudine, devant son château.

4-Le chevalier et le vilain.
Le seigneur vit dans le cadre d'une seigneurie. Il s'appuie sur des paysans qui travaillent la terre pour lui, et dont il perçoit maintes redevances, corvées et impôts. Les chevaliers des romans de Chrétien de Troyes doivent aider les vilains sans défense. Pourtant, beaucoup d’entre eux sont mal vus, comme ce paysan sur qui Chrétien de Troyes accole des références diaboliques : la couleur marron, des comparaisons animales peu flatteuses avec le sanglier, l’ours, le chat ou le loup. Ici, Calogrenant raconte sa rencontre avec un étrange paysan :

« Je m'approchais de ce vilain et vis qu'il avait une plus grosse tête qu’un roncin ou qu’une autre bête, des cheveux mêlés en broussaille, un front pelé de plus de deux empans de large. Des oreilles moussues et grandes comme celles d'un éléphant, des sourcils touffus, un visage plat, des yeux de chouette et un nez de chat, une bouche fendue comme le loup, des dents de sanglier, aigües et brunes, une barbe noire […], un menton soudé à la poitrine, une longue échine, tordue et bossue. Il était appuyé sur sa massue, vêtu d’une très étrange façon. Ce n'était pas un vêtement de toile ni de laine mais ceux de deux cuirs nouvellement écorchés, en cuir de taureau ou en cuir de bœuf.

Chrétien de Troyes, Yvain ou le chevalier au lion, XIIe siècle.»

Pour aller plus loin :


Sur Chrétien de Troyes et ses œuvres :

Une excellente synthèse sur Yvain ou le chevalier au lion.
 
Des conseils de lecture pour le niveau collège : ici et ici.

Sur la matière de Bretagne en général : 

Le cinéma a beaucoup adapté la légende arthurienne, en donnant souvent une vision historique approximative. Voici un combat entre deux chevaliers de la cour d'Arthur (dont Lancelot du Lac) tiré du très beau Excalibur de John Boorman (1981). Si les armures sont trop rutilantes, on voit bien le rituel très codifié du combat et l'attention qu'y portent les dames, au premier rang desquelles la reine Guenièvre.



Dans Monty Python Sacré Graal ! (1975), l'équipe des humoristes anglais rend le combat de chevalerie proprement loufoque. Arthur découpe en morceaux le Chevalier noir de manière invraisemblable.



Il faut voir le site de la Bibliothèque nationale de France. Une visite virtuelle de la légende arthurienne à travers les livres et les images est proposée.

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