dimanche 21 novembre 2010

Les traces de châteaux-forts disparus dans le Nord de la France.

Dans notre région, les châteaux-forts ont laissé des traces plus ou moins nettes. Si certains édifices construits ou profondément remaniés après le XIVe siècle sont encore visibles, voire ouverts au public ( par exemple  Bours, Olhain, Fressin, Potelle, Boulogne-sur-mer), d'autres ont complétement disparu. On ne peut deviner la trace de leur existence passée que d'un point de vue élevé. L'archéologie aérienne et l'étude minutieuse d'images issues des globes virtuels peuvent apporter d'intéressants éclairages.

A-Les mottes castrales :

Si  des forteresses rurales primitives existent au IXe siècle, durant la période carolingienne, c'est vers l'an mille que l'on voit apparaître les premiers édifices castraux avec la multiplication des  principautés féodales. Vers le XIe siècle, parallèlement à l'augmentation de la puissance des châtellenies indépendantes, la croissance de la population et le début des défrichements, les châteaux couvrent toutes les régions situées entre la Loire et le Rhin, sous la forme de mottes castrales. Le château à motte est composé d'un tertre de six à dix mètres de hauteur, flanqué d'une enceinte semi-circulaire formant une basse-cour, sur lequel est bâti un édifice, le plus souvent en pierre. Le tertre et la basse-cour sont entourés d'un rempart de terre palissadé. Aujourd'hui, la construction principale souvent a souvent disparu. Il reste le tertre, dont le fossé est généralement comblé.

Le chroniqueur Lambert d'Ardres relate l'érection du donjon de bois du seigneur Arnoul d'Ardres vers 1120 :

"Comment Arnould fit une grande et belle maison dans le castrum d'Ardres : en voici la description.
Ensuite, la paix étant faite et ratifiée entre Manassès, comte de Guines, et Arnoul, seigneur d'Ardres, celui-ci fit faire sur la motte d'Ardres, grâce à l'admirable travail des charpentiers, une maison de bois qui surpassait toutes celles construites en ce même matériau dans la Flandre d'alors.
Ce fut un artisan de Bourbourg, un charpentier du nom de Lodewic, presque l'égal de Dédale par son habilité professionnelle, qui la fabriqua et la charpenta.
Il la dessina et la fit presque comme l'inextricable labyrinthe, resserre après resserre, chambre après chambre, logis après logis, continuant par les celliers puis par les magasins à provisions ou greniers, édifiant la chapelle à l'endroit le plus approprié, en haut dans la partie orientale de la maison.
Il y aménagea trois niveaux, superposant chaque plancher à bonne distance l'un de l'autre, comme s'il les suspendait en l'air. Le premier niveau était à la surface du sol : là se trouvait les celliers et les magasins à grains ainsi que de grands coffres, des jarres, des tonneaux et autres ustensiles domestiques.
Au second niveau il y avait l'habitation et la pièce à vivre de la maisonnée. S'y trouvaient les offices, celui des panetiers et celui des échansons, ainsi que la grande chambre où dormaient le seigneur et sa femme et, attenant à celle-ci, un cabinet, chambre ou dortoir des servantes et des enfants. Dans la partie la plus reculée de la grande chambre il y avait une sorte de réduit où, au point du jour, le soir, en cas de maladie, pour faire les saignées ou encore pour réchauffer les servantes et les enfants sevrés, on avait l'habitude d'allumer le feu.
A ce même étage, la cuisine faisait suite à la maison : elle avait deux niveaux. En bas étaient mis les porcs à l'engraissement, les oies destinées à la table, les chapons et autres volailles tout prêts à être tués et mangé. En haut vivaient les cuisiniers et les autres préposés à la cuisine; ils y préparaient les plats les plus délicats destinés aux seigneurs, ainsi que la nourriture quotidienne des familiers et des domestiques.
Au niveau supérieur de la maison il y avait des chambres hautes. Dans l'une dormaient les fils du seigneur, quand ils le voulaient ; dans une autre ses filles, parce qu'il le fallait ainsi; ailleurs les veilleurs, les serviteurs chargés de la garde de la maison et les gardes prêts à intervenir, toutes les fois qu'ils prenaient leur repos.
Des escaliers et des couloirs menaient d'étage en étage, de la maison à la cuisine, de chambre en chambre et aussi de la maison à la loge , dont le nom venait de logos qui veut dire discours - et c'est à juste titre car les seigneurs avaient coutume de s'y asseoir pour d'agréables entretiens -, comme de la loge à l'oratoire ou chapelle, comparable par ses sculptures et ses peintures au tabernacle de Salomon.

in Lamberti Ardensis historia comitum Ghisnensium
M.G.H., Scriptores, t.XXIV, éd. J. Heller, 1879, chapitre 12"

Cette description insiste moins sur la dimension militaire de la motte castrale que sur le caractère domestique du castrum (organisation des pièces à vivre), sur l'importance des pièces réservées aux proches du seigneur (surtout la chambre, cœur d'un édifice conçu pour une seule famille, lieu de vie et de reproduction du pouvoir seigneurial) et les espaces dévolus aux fils et aux filles, "réservoirs" des  jeunes générations dont la fonction est d'enraciner et de faire perdurer le pouvoir de la lignée.

Voici une vue de la motte d'Ardres dont on devine le fossé semi circulaire et la basse-cour. 


Pour d'autres informations sur l'endroit, on peut consulter cette page, avec des citations de Robert Fossier et Georges Duby et une meilleure vue de la motte. Par ici

D'autres mottes sont à peine visibles, comme celle d'Ablaincourt (Somme). On distingue dans la parcelle triangulaire, l'aula de l'ancienne motte arasée, dont la basse-cour a servi de point de départ à la construction du village.    

Une autre image est disponible sur l'excellent site archeologie-aerienne. Par ici.

B-Les châteaux-forts.

On peut trouver la trace de forteresses plus tardives et plus complexes, aujourd'hui complétement disparues. Le château de Malmaison, localisé près du village d'Ors (Nord), fut édifié au début du XIIIe siècle. Il reprenait un plan courant à l'époque : un donjon imposant, entouré d'une enceinte et de douves. Détruit au XVe siècle (les restes de la tour principale étaient encore visibles au XIXe siècle), il ne reste aujourd'hui qu'une trace (deux cercles imbriqués et une partie ennoyée qui correspond peut-être aux fossés de l'époque)rappelant l'allure circulaire de l'édifice.

   
Le château de Saint Pol-sur-Ternoise a laissé des traces plus marquantes. La présence d'un fort est attestée dès la fin du IXe siècle, puisque la référence à Saint Paul proviendrait de la protection que le saint aurait offerte au comté de Tervana et à sa forteresse lors d'une incursion danoise en 881. Un château était présent dès le XIe siècle, détruit par le comte de Flandre Charles le Bon en 1119, puis reconstruit. On distinguait  au XIIe siècle un château-neuf et un château-vieux. Pour voir le plan du château et une image de la ville et de son château issue de l'album de Croy, cliquez ici. En 1537, Saint-Pol et son château furent victimes de la guerre que se livraient François 1er et Charles le Quint. La ville fut prise et "l'armée impériale demeura trois jours devant S. Paul après la prise de la ville; pendant ce temps le comte de Bures fit brusler la ville, raser le chasteau et abbatre la grosse tour..." (16-19 juin, d'après les mémoires de Martin du Bellay). Il suffit d'attacher une solide corde à quelques moellons mal placés au bas du donjon et de tirer  vigoureusement pour abattre l'édifice entier et le précipiter au bas de la colline. Des ruines subsistaient encore au XVIIe siècle. Aujourd'hui, le site est un parc urbain de 1,5 hectares (racheté par la ville au XIXe siècle) sur lequel ont été aménagés un théâtre de verdure et un parcours d'accrobranche. Un petit parcours pédestre permet de deviner encore quelques vestiges. Des recherches récentes ont mis à jour, dans le quadrilatère évidé qui était à la base du donjon, des restes alimentaires (os d'animaux) prouvant la fonction de stockage de la pièce la plus froide du château.


Sources :
André Châtelain, Châteaux-fort, images de pierre des guerres médiévales, Paris,  1991, Desclée de Brouwer.
Georges Duby, Le chevalier, la femme et le prêtre, Paris, Hachette,1981.
Robert Fossier, Enfance de l'Europe : aspects économiques et sociaux, tome 1, L'homme et son espace, Paris, PUF, coll. nouvelle clio, 1982.

Pour aller plus loin : 
Le site Castelmaniac propose des fiches, des exemples, des bibliographies, des liens, des vidéos...Très complet.
Un beau dossier de la BNF sur le château médiéval, avec notamment de petites vidéos faciles d'accès.

Aucun commentaire: