dimanche 28 novembre 2010

Voyage des 3eC : retour sur les lieux de mémoire de la Grande guerre en Artois.

Le cimetière de Sains et le mystère des quarante-neuf tombes chinoises.

Placée à quelques mètres de la ligne de tranchées, la cité du n°10 de Sains-en-Gohelle a été le théâtre de vifs combats. Ses écoles ont accueilli plus de 20 000 blessés. Le cimetière communal témoigne de cette position particulière sur le front. 893 soldats français y reposent, aux côtés de plus de 400 tombes de soldats alliés (214 Canadiens, 203 soldats du Royaume-Uni et un Australien). Dans le fond, un carré particulier regroupe 49 tombes de Chinois morts entre 1917 et 1919. A partir de 1916, plus de 90 000 Chinois furent amenés en Europe par les autorités militaires anglaises. Volontaires, ils s'étaient engagés pour un contrat de trois ans aux conditions sévères : sept jours de travail par semaine, dix heures de travail par jour, un franc de salaire quotidien. Les conditions de vie de ces soldats indigènes britanniques furent particulièrement difficiles : mauvais traitement des Anglais dans le camp de Noyelles (près du Havre), où ils étaient parqués et contrôlés, avec des châtiments corporels en guise de punitions ; travaux pénibles de manutention et de terrassement ; méfiance des populations locales (les rumeurs de "mangeurs d'enfants" couraient les corons à l'époque) ; isolement de la petite colonie dans le bois de Bouvigny (on y voyait parfois flotter des cerfs-volants le dimanche). ; malnutrition (du riz, des racines, peu d'aide alimentaire de la part de la population locale). De vivre ainsi, 33 Chinois (soit trois-quart des personnes inhumées dans le carré) moururent en 1919.

Pour plus de détails sur le sujet, par ici.

Le monument aux morts et des Japonais au cimetière d'Aix-Noulette.


La statue représente un poilu en position de défense, bombant le torse. Elle s’oppose à de nombreux autres monuments aux morts dont les images sont empreintes de tristesse, voire d'un rejet net de la guerre (monument de Liévin). Sous les pieds du soldat, il est écrit : « On ne passe pas », message clairement adressé aux Allemands, réaffirmant l’intangibilité de la frontière alsacienne.

Sur le monument, plus de cent victimes sont inscrites, dont vingt-huit victimes civiles (il n'y en a que deux pour la Deuxième Guerre mondiale). Elles représentent 21% de la population de la commune (1914). En 1918, la moyenne du nombre de décès  consécutifs à la guerre dans les communes de France est de 10%. La surmortalité d'Aix-Noulette s’explique surtout par le fort nombre de victimes civiles. Au début de la guerre, le village subit de sévères bombardements (obus) en provenance de la ligne de front toute proche, à un moment où la population locale n’était pas encore complètement évacuée.


Au cimetière communal se trouvent trois tombes de soldats canadiens portant des patronymes japonais (emplacement : rangée L sépulture 19, rangée N sépulture 9, rangée 0 sépulture 8) : des immigrés venus s’installer aux Etats-Unis (pays neutre jusqu’en 1917), qui volontairement passèrent la frontière pour s’enrôler dans les forces canadiennes.Ici,  le soldat Sugimoto, mort en 1917 à 33 ans.


On trouve aussi (comme à Lorette), des stèles mitoyennes : l'identité des deux combattants tombés ensemble était  connue mais les dégâts corporels étaient tels qu'on ne pouvait reconstituer l'intégrité physique de chaque dépouille. Dans le doute, une inhumation commune fut réalisée. Un monument de Neuville-Saint-Vaast, inauguré en 1935, montre une main portant une torche victorieuse. L'intérêt de la sculpture réside dans le bracelet d'identification porté au poignet, moyen inventé durant la Grande guerre pour récolter l'identité des morts laissés sur le champ de bataille ou enterrés dans des cimetières temporaires, avant une inhumation définitive dans une nécropole ou dans la commune d'origine.


 Le" Cabaret rouge" et le soldat inconnu canadien.


Le cimetière fut aménagé par les troupes britanniques en mars 1916. Il fut utilisé jusqu'en août 1917, principalement par le Corps d'armée canadien et la UK's 47th (London) Division. Après l'Armistice, on l'agrandit considérablement, en raison de la concentration de plus de 7 000 sépultures venant des champs de bataille de l'Arrageois et d'autres lieux de sépulture temporaires situés sur le front Nord. « Cabaret-Rouge » fait référence à une maison qui se trouvait à environ un kilomètre au sud de Souchez. Ce nom fut en outre donné à la tranchée de communication qui se terminait à l'est du cimetière. Le cimetière compte environ 8 000 sépultures britanniques, dont celles de 325 Canadiens identifiés et 425 non identifiés (plus quatre tombes allemandes).
Le 25 mai 2000, la dépouille d’un soldat non identifié mais canadien (lot 8, rangée E, sépulture 7) a été ramené à Ottawa (Canada) pour constituer la tombe du soldat inconnu de la nation canadienne.

Lorette, nécropole artésienne.


Lorette est une importante nécropole française. Édifiée en 1925 sur une superficie de 13 hectares, au sommet de la colline qui a vue s'opposer les troupes françaises et allemande durant la première grande bataille d'Artois (octobre 1914-octobre 1915), elle accueille plus de 40 000 corps dans des tombes individuelles et dans sept ossuaires. Deux détails remarquables : la tombe du général Barbot, mort en 1915, alignée avec les autres croix, sans souci de distinction dû au grade ; la tombe conjointe d'un père et d'un fils, les Rousseaux, le premier mort en  1915, le second en 1943. Du haut de la colline (167 mètres), la tour-lanterne, haute de 52 mètres, éclaire de nuit les alentours. Elle contient trente-deux tombes de soldats inconnus (dont des soldats de la Deuxième Guerre mondiale, de la Guerre d'Indochine et de la Guerre d'Algérie), des restes de déportés et un ossuaire accueillant les dépouilles de 8000 combattants. Au premier étage, on trouve un intéressant petit musée et une belle exposition photographique permanente. Au sud, un carré musulman comprend 543 tombes orientées vers la Mecque. Cet endroit a été profané à trois reprises (en avril 2007, avril et décembre 2008) avec, notamment, des inscriptions islamophobes.


Depuis, des caméras thermiques ont été mises en place, permettant à la gendarmerie locale d'intervenir lorsque les Gardes d'honneur sont partis. On trouve aussi des tombes de soldats français de confession juive, dont celle de Marcel Lelouch, parent du célèbre réalisateur.

Pour aller plus loin, par ici.

Le cimetière allemand de Neuville-Saint Vaast.


S'étalant sur près de 10 hectares, c'est la plus importante nécropole allemande de la Première Guerre mondiale en France. Elle compte 44 833 soldats tombés en Artois, notamment lors des batailles de la colline de Lorette d'août 1914 à fin 1915, des hauteurs de Vimy en 1917 et au printemps 1918. Les combattants appartenaient à plus de 100 unités militaires différentes. Le cimetière militaire s'étend sur plus de 10 hectares, au hameau de la maison Blanche. Elle dispose d'un bâtiment d'entrée avec un beau plan en relief du théâtre des opérations. 36 793 soldats reposent sous des croix noires, dont 36 178 nominatives, et 8 040 dans des ossuaires. Du centre de la nécropole, marqué par une grande croix noire, partent des allées bordées d'acacias. Sur chaque croix  métallique figure l'identité de quatre soldats. Cent vingt neuf sépultures juives, constituées de stèles de pierre, portant l'étoile de David, sont mêlées aux autres tombes, sans distinction particulière, contrairement au cimetière de Lorette. L'aspect ténébreux du lieu (le noir omniprésent) peut s'expliquer par le fait que les Alliés avaient imposé, au moment du Traité de Versailles (1919), une couleur spécifique pour les cimetières militaires de chaque camp, le blanc aux vainqueurs, le gris ou le noir aux vaincus.
   
Vimy, en territoire canadien.


Vimy est une colline qui commande le bassin minier de Lens, la plaine de Douai et les hauteurs de l'Artois. Sa maîtrise était essentielle pour contrôler la région. Les Français échouèrent dans leur tentative de contrôle de la crête durant tout le  début du conflit. Ils furent remplacés dans le secteur par les Anglais en 1916. Ces derniers y réalisèrent d'importants travaux  de terrassements et de creusements : un réseau de tranchées de six kilomètres qui menait à l'arrière, vers le Mont-Saint-Eloi, où était situé l'état-major et le barrage-roulant d'artillerie ; un réseau de souterrains creusés par des mineurs gallois, d'une profondeur maximale de trente mètres, qui doublait le réseau  allemand.  Le matin du 9 avril 1917, une gigantesque bataille de quatre jours mit aux prises 35 000 Canadiens et 10 000 Allemands. Plus de 11 000 Canadiens y perdirent la vie. Mais grâce à un entraînement intensif de plusieurs mois dans des conditions proches du réel théâtre des opérations, grâce aussi à une utilisation ingénieuse de la mitrailleuse comme arme mobiles d'attaque et de sécurisation des positions prises durant l'offensive, les Canadiens parvinrent à conquérir un site stratégique réputé imprenable. Le monument commémoratif, inauguré en 1936 par Édouard VIII après onze ans de construction, est posé sur la ligne de crête qui domine toute la plaine de Flandre, jusqu’à Lille et aux collines de Belgique. Il porte le nom de toutes les victimes identifiées. Le parc de 110 hectares est une propriété canadienne depuis 1922. La forêt qui l’entoure est composée d’essences importées du Canada. Elle est inaccessible à pied car elle peut encore receler des pièges en fer, voire des munitions non explosées.

Une ligne de tranchée reconstituée (sacs de sable en ciment) permet d'appréhender l’aspect du réseau à l’époque : souvent moins hautes qu’un corps debout, organisées en lacet pour éviter les tirs en enfilade, sommairement aménagées autour d’un énorme cratère provoqué par une mine souterraine, que les Anglais avaient fait exploser en 1916 pour sécuriser le creusement de leurs boyaux. Entre la tranchée canadienne et la tranchée allemande, le no man's land est large de vingt-cinq mètres.Du côté allemande, on remarque des bunkers en béton qui permettaient de protéger les tireurs d'élite. Les Anglo-saxons n'ont pas utilisé le béton pour leurs tranchées, sans doute parce que ce matériau donnait à des soldats démoralisés le sentiment de s'installer dans une guerre longue.    

Les tunnels ont servi d’abris aux troupes avant l’attaque, de point de retrait pour l’état-major et de lieu de repos et de départ pour les estafettes. Un grand privilège pour ces messagers volontaires :  dormir dans un lit, car leur espérance de vie moyenne au combat dans le poste ne dépassait pas six à sept jours. Les tirs de précision des snipers allemands étaient redoutables. Elles ont aussi été un moyen de contourner les lignes allemandes par dessous, en posant des mines souterraines meurtrières. Les conditions de vie étaient difficiles : l'obscurité, pas de lieux d’aisance, l'humidité permanente que l'on essayait de combattre avec des pompes, la boue, (les sols en ciment ne viendront que plus tard), l'obsession du silence car les Allemands pouvaient entendre les communications télégraphiques avec des stéthoscopes (la craie est une grande conductrice d'ondes sonores). La photographie montre le tunnel Blackwatch, du nom d'un régiment constitué d'Écossais émigrés au Canada, tous âgés de dix-sept ou dix-huit ans. Ses soldats attendirent trente-six heures debout, dans la boue, le silence et le secret de leurs pensées, un paquetage de quarante kilos sur le dos, avant de pouvoir sortir au matin du 9 avril, dans une formidable tempête de neige qui, heureusement, soufflait dans les yeux des Allemands. Pour des clichés plus précis sur le tunnel Grange, par ici.



Vimy est un lieu de mémoire important pour les Canadiens : la bataille qui s'y est déroulée a permis de celer l'unité d'une nation composite constituée d'immigrés. On trouve dans le tunnel Grange une feuille d'érable gravée dans la craie. Près de cinquante ans avant que cette feuille ne devienne le symbole officiel du Canada !

Pour en savoir plus sur le site, par ici.

Pour d'autres photographies, le compte-rendu d'une autre sortie scolaire faîte par des Troisièmes en 2006. Par ici.

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